dimanche 1 juillet 2012

E U G E N E

La mèche folle, 15 ans à peine. Signes particuliers : une chemise à carreaux étriquée sur son torse laiteux ponctué ça et là de taches de son. Deux boutons ouverts, les manches retroussées à la hâte. Un slim Cheap Monday obtenu grâce un contact parisien. Une conque noire en guise d'extenseur à l'oreille droite, une attitude maniérée qui ne trompe personne, un ersatz de rictus qui séduit certains. Une excentricité hors du commun pour ce petit village de province. Eugene rectifie du tac au tac quand on prononce son prénom "Eu-gène": "Non, tu n'y es pas, c'est Iou-dgiiine. Mais tu peux m'appeler Gene". Il ne sera jamais des leurs.

Ce qu'il fait là? Aucune idée. Une embrouille, un échange de fluides à la sauvette, une façon de faire perdre leur temps aux filles dupes, ou gagner le leur à des quinquagénaires en quête de jeunesse éternelle. De quoi s'assurer une rente mensuelle confortable, pratiquement sans efforts. Le garçon a l’œil faussement tendre mais le principe intraitable, même pour sa mère : rien ne s'offre, par ici la monnaie. Quand cette pauvre femme va faire ses courses dans les commerces du voisinage, elle entend parfois murmurer avec mépris"Ce giton!" dès qu'elle tourne le dos mais ne sait toujours pas ce que recouvre ce terme. La boulangère ne s'empêche guère de persifler, pourtant: "Votre petit dernier m'a prétendu que c'est vous qui alliez régler sa note. Il serait temps de s'occuper de ça, madame Beaulieu." En disant "ça", elle esquisse un geste de la main, comme pour chasser loin d'elle ce qu'elle considère comme un mauvais sort : ardoise impayée, engeance dépravée, il n'y a pas de place dans son monde pour ces erreurs-là. Elle ne perçoit pas l'ironie de la situation : le jeudi après-midi, c'est toujours son Didier qui déboutonne son pantalon le premier ou laisse à Eugene le soin de s'occuper de la désape lorsque l'excitation est trop forte.

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