samedi 15 décembre 2012

F L A N

Tu sais, je crois que je ne lui trouve pas une gueule d'envie, mais une gueule d'appétit. Elle ronge consciencieusement les chairs molles des cuisses de batracien, commandées à l'aveuglette, elle s'écrie, non sans malice "Un jour, au Laos, on nous a servi juste des pattes de poule, rien autour : je n'ai pas trop compris l'intérêt". Elle ferait des kilomètres pour un flan au lait de ferme à la brousse.

T A L O N

Chaque mardi, c'est sa chaussure droite qu'elle lui tend sous forme de deux coupures bleues, de main à main, sans la regarder. Chaque vendredi, c'est sa chaussure gauche qu'elle lui tend sous forme de deux coupures bleues, de main à main, sans la regarder. Des rituels immuables qui, on le lui a garanti, aident à marcher. Sur d'autres parquets, elle gambaderait sans doute pieds nus, orteils dans la vase, talons d'Achille au creux des fougères.

dimanche 23 septembre 2012

O E I L L E T S

C'est ce couloir que tu empruntes si souvent, avec ses poissons rouges amorphes, ses plantes semi-tropicales, ses verrières. C'est ce même couloir mais les perspectives sont décalées, tu n'y reconnais pas les traits, pas les lignes, pas les voix. Des étoffes de divas, une nuque de tomboy, des chairs expansives ou menues, à peine quelques specimens à pomme d'Adam au milieu d'une volière. 

Est-ce qu'elles aussi s'interrogent  sur ce que c'est, au fond, la dimension cachée? L'heure est tapante, précipitée : s'engouffrer dans les sous-sols, pas de dérapage. D'autres silhouettes s'animent : du grain, des clavicules que tu dessines mentalement du doigt, ces cigarettes d'extension et ces pulls trop grands qui laissent basculer les épaules, ces attitudes bravaches. Et pourtant, dans un coin, elle se fait doute et elle rapetisse dans sa brèche, celle qui doit mener la danse : ce contraste-là t'émeut et tu te souvient de tous ces gestes justes, ces envolées saccadées qu'elle imprime sur des corps siens, des incarnations.

Accroupie, elle se permet d'apparaître dans le champ dont elle n'est pourtant pas l'objet,  elle dit que cette fois-là, elle a dû fermer les yeux, pour ne pas être submergée. Elle les scrute tous du coin de l'oeil, mais je m'arrête sur celui qui signe avec ses mains longues du Gershwin, sur celui qui hurle, sur ce qu'ils scandent depuis leur identité propre, avec vigueur. Pina est cette droiture qui interroge toujours à coeur, ce corps de fil qui fume, celle qui cherche la force. J'en garde un peu, pour le jour où.

mardi 14 août 2012

S Q U A W

Je ne connais pas Juliette, Juliette qui aime le Marsupilami, Juliette qui reçoit des cartes postales avec un dauphin du Croesty et possède un aquarium garni de gupis phosphorescents. 

Le 19 juin 2012, Juliette a été invitée à un départ à la retraite salle 108-109 par Gabrielle Fourier, que je ne connais pas, pas plus que Juliette, Juliette qui aime les squaws et les sirènes à queue violette, les Playmobils multiraciaux et les gupis, Juliette "en route pour l'aventure de la vie", comme le dit son papy Michel, que je ne connais pas, pas plus que l'infirmière Lilou qui comme chacun sait, a des cheveux jaunes et une couronne.

Je ne connaîtrai jamais Juliette, Juliette qui griffonne toujours son prénom avec un "j" minuscule sauf sur les dessins de chauve-souris et les dessins de tigre et qui précise sur des post-it rose fluo "ne pas toucher s'il vous plaît merci", Juliette dont le papa écoute NTM, Bob Dylan et OP8. Juliette qui habite à la Croix-Rousse, à Lyon, très précisément.

mercredi 8 août 2012

LAKE CHARLES

Shannon est à moitié cherokee, ses murs sont placardés de dreamcatchers, mais elle ne se fait pas d'illusions: dans son comté, les rêves ne mènent jamais aussi loin que vous le souhaiteriez du haut de vos 16 ans, la faute au couvre-feu. Son père a fait la première guerre en Irak, c'est un type adorable, qui, le jour de Pâques, prend la peine de me préciser le nom de chaque arbre de la propriété où ils habitent tous les deux, depuis que la mère de Shannon s'est barrée avec un gourou californien.
Ma jeune hôte insiste pour me montrer l'album souvenir du lycée de l'an dernier, quand elle était encore scolarisée avec tous ces enfants friqués du coin, avant qu'elle mette la pagaille dans leurs vies. Elle s'arrête un instant sur la photo d'une petite brune, assez insignifiante, et précise :"Ca, c'est Miranda, elle a été ma petite amie pendant trois mois environ, et puis elle a changé de quartier. Bigote, pas très causante, mais son père avait un bar à whiskys impressionnant". Plus loin, filles et garçons continuent à défiler, Shannon commente, organise, retrace tout son calendrier amoureux de 1997, le carnet de bal d'une jeune fille d'ici et maintenant. Mon regard est happé par une silhouette maigrichonne au crâne rasé, qui pourrait faire songer à Dolorès O'Riordan, à condition d'aimer les approximations. Il me semble l'avoir croisée dans le parc, la nuit précédente, parmi d'autres poètes urbains, entassés autour d'un casier de bière et des cigarettes noires à bouts dorés à la main. Quand je l'interroge, mon hybride précise : "Tara est intouchable. Ne cherche même pas à l'approcher à moins de cent mètres. Si elle te choisit, tu le sauras bien assez tôt."

Plus tard dans la nuit, Shannon m'emmène chez Wendy, son amie d'enfance, qui semble avoir été happée par l'esprit de Wednesday Adams, depuis les tresses jusqu'au regard létal. Les filles m'obligent à voir "Interview with a vampire", question de folklore ou de bizutage. Elles en sont au moins à leur trente-septième revisionnage, la cassette est usée, on distingue de moins en moins bien les couleurs et le son pourrait être superflu : elles connaissent au moins 90% des dialogues par coeur. Je n'ose pas les décourager. De toutes manières, la séance est interrompue. Lacey n'est toujours pas rentrée, et  nous voilà en route vers un abri de jardin à l'autre bout de la ville, à devoir procéder à une intervention d'urgence : 13 ans, plutôt délurée, on retrouve la petite soeur fugitive en train de jouer à Quake II avec deux skaters nettement plus âgés qu'elle mais trop stoned pour tenter quoi que ce soit de plus illicite. Elle proteste pour la forme : elle leur mettait une branlée mémorable.

Retour à la cuisine, chez Wendy. On a beau faire comme si de rien n'était, on tombe nez à nez avec Ray et Chelsea en train de se livrer à des ébats sonores et gorgés d'alcool à même la table. Drôles de parents. Je crois comprendre que nous ne retournerons pas chez Shannon parce qu'il est trop tard, et qu'il me faudra donc passer la nuit dans le lit-cercueil en carton-pâte, que les filles, hospitalières, m'ont concédé. Au plafond, une araignée géante constituée de sacs-poubelles noirâtres veillera sur moi comme sur un nouveau-né.

Je ne suis même pas sûre qu'il y ait un seul plan d'eau digne de ce nom à Lake Charles, Louisiane. On y trouve par contre des chiens obèses, des trailer vans, des pompom-girls enthousiastes, des géniteurs absents, des adolescents perdus aux désirs qui ne dépassent pas la nationale, aux transgressions grandes comme la paume.

mardi 7 août 2012

V I C T O I R E

Elle dit qu'elle va compter jusqu'à trois, qu'après elle descendra du tram, qu'après elle les plantera là, avec leurs rires et leurs gros mots, et que ça leur fera les pieds de rentrer sur pattes à la maison. Elle dit qu'ils feraient bien de s'assoir correctement, d'arrêter d'embêter les gens, de s'amuser normalement, pas comme ça, pas aussi fort, pas en interagissant sans arrêt, juste nor-ma-le-ment. Qu'elle va compter jusqu'à trois aussi pour demain midi, tant qu'à faire, parce que justement, ça commence à bien faire, Evan, tu t'assieds maintenant, tu sais le trois va sortir, il y en aura un après le deux et pourquoi est-elle toujours obligée d'utiliser la menace avec eux, ils ne comprendront donc jamais.

dimanche 29 juillet 2012

M O N I K A

Au bar, je vois Monika, ses vingt ans et ses petits seins de magasinière dans une blouse à trois boutons allumer une cigarette. Je vois Monika, ses vingt ans et ses petits seins dans une blouse à trois boutons de magasinière rire comme un oiseau perdu, parce que tu as posé tes phalanges quelques secondes de trop sur l'étoffe bleue en la froissant, parce que le verre est vide, rire parce qu'elle sait que vous ne prendrez sans doute pas le temps d'en boire un deuxième, que l'été ressemblera à une succession de portes cochères à la dérobade. Je vois Monika, ses vingt ans et ses hanches amples se lever à la hâte, rajuster le bas de sa blouse à trois boutons, et disparaître du bar avec toi suspendu à ses chevilles de magasinière.

vendredi 27 juillet 2012

R U M S P R I N G A

Cette nuit-là, en gagnant la chambre pour son rituel nocturne, elle constata sur sa tunique en lin un essaim de taches rouges minuscules qui ne s'y trouvaient pas la veille. Elle sut immédiatement de quoi il s'agissait. Qu'il ne servirait à rien de relaver à grand renfort de mousse et vigoureux frottements ce vêtement humble qu'elle portait tous les jours sauf le dimanche. Qu'elle devrait vivre désormais avec cette marque, pas tout à fait une faute, pas tout à fait un sceau.

vendredi 20 juillet 2012

T E S S A

Un matin de cavalcade, dans le 81 entre Levure et la Chasse. L'odalisque rousse en face de toi a le rimmel qui s'auto-tamponne mais les lobes bien dessinés sous ses écouteurs qui diffusent 'Bette Davis Eyes'. Affalée sur son siège, jambes entrouvertes, satin clair, tu ne peux pas discerner que ses rêves sous Rohypnol lui dressent une balançoire dans le verger luxuriant de sa grand-mère restée à Topeca, et des strapontins dans le plus petit cinéma du Kansas. Quinze places à peine, une ouvreuse-projectionniste seulement les mardis soirs. Le reste du temps, un spectateur se dévoue pour choisir et installer la bobine.

Ses paupières tressautent à peine sous les cahots du véhicule. Dans un instant, sans qu'aucun usager du tram ne s'aperçoive de ses divagations, elle visionnera peut-être 'La Nuit américaine' en compagnie de Jim, le pompiste ou décidera pour les quelques avides de plans-séquence du jour de dépoussiérer 'Mon nom est personne.' Il est fort probable qu'elle rate son arrêt, sa destination première. Mais à quoi bon interrompre les voyages qu'on est seul à fomenter? Tessa, quasi figée, savoure là un instant qui s'auto-détruira au réveil.

jeudi 19 juillet 2012

G I U L I O

Je ne vais chiffonner aucune page. Pas celle où tu craches sur Truffaut et les chansons italiennes, pas celles où tu joues aux échecs. Pas celle où tu vois cette femme de province et où rien n'advient, étonnamment. Je me dis que tu dois avoir la voix de Sergi Lopez, ou alors j'extrapole. Que ton oeil gauche doit être victime d'un tressautement, à force. Mais tu gagnes ton pari, à vrai dire : je n'ai pas vomi, je ne me suis pas indignée. Tu sais te montrer abject, mais c'est encore et toujours de la littérature. Je dis oui.

'Fake', Giulio Minghini, Allia.

samedi 14 juillet 2012

ROSE KENNEDY

Dans une caisse, des photos de PH prises au Jardin du Luxembourg. Il joue un peu avec l'objectif, tire la langue, se dissimule à moitié. Des images pas vraiment bonnes, au fond. Ni cadrées, ni profondes, ni tout à fait symptomatiques de ce qui pouvait les lier à ce moment-là. Sans le tampon à l'arrière, elle aurait presque du mal à se souvenir que c'était en 2001. En septembre, exactement. Chez un petit disquaire de la Rive Gauche, pendant qu'il fouillait longuement dans les bacs, elle avait trouvé 'Rose Kennedy'. Elle avait proprement remisé ce souvenir avec les factures, les faire-parts de naissance, des cartes postales d'Egypte, quelques bristols de restaurants. 

Il lui avait fait découvrir 'Blue Monday', la musique de Detroit et Maurice Dantec. Il prétendait que le rock'n roll était mort mais n'était pas capable de rouler ses joints tout seul. Il s'en amusait parfois devant elle, mais ne lui proposait jamais de fumer ensemble, ça ne faisait pas partie de leur paysage commun. Ces moments-là étaient ceux de sa vie estudiantine, tunnel de fêtes et d'abandon programmé. Le weekend venu, elle constituait son repos du guerrier. Elle acceptait d'être celle qui attend à l'aune de ce qu'elle avait cru voir en lui : un esthète, un appétit, une ouverture, un point de vue contrasté. 

Il oublia son anniversaire. Le jour où son oncle l'invita à la dOCUMENTA, il ne lui proposa pas d'être du voyage. Elle ne rencontra pas non plus sa mère qui craignait les ondes et les effets néfastes des pesticides du voisinage. Elle n'était qu'en orbite de sa vie segmentée: il fut aisé pour le jeune homme de se délester du satellite devenu encombrant. Il lui annonça la nouvelle peu de temps après la Nuit Blanche. 

Longtemps, au détour d'une rue, elle continua à voir chez d'autres garçons ses traits, distinguer ailleurs ses mimiques juvéniles. Puis il ne fut plus que des instants déchargés d'affects, traces de l'année et demie où elle vécut en Pénélope.

dimanche 1 juillet 2012

E U G E N E

La mèche folle, 15 ans à peine. Signes particuliers : une chemise à carreaux étriquée sur son torse laiteux ponctué ça et là de taches de son. Deux boutons ouverts, les manches retroussées à la hâte. Un slim Cheap Monday obtenu grâce un contact parisien. Une conque noire en guise d'extenseur à l'oreille droite, une attitude maniérée qui ne trompe personne, un ersatz de rictus qui séduit certains. Une excentricité hors du commun pour ce petit village de province. Eugene rectifie du tac au tac quand on prononce son prénom "Eu-gène": "Non, tu n'y es pas, c'est Iou-dgiiine. Mais tu peux m'appeler Gene". Il ne sera jamais des leurs.

Ce qu'il fait là? Aucune idée. Une embrouille, un échange de fluides à la sauvette, une façon de faire perdre leur temps aux filles dupes, ou gagner le leur à des quinquagénaires en quête de jeunesse éternelle. De quoi s'assurer une rente mensuelle confortable, pratiquement sans efforts. Le garçon a l’œil faussement tendre mais le principe intraitable, même pour sa mère : rien ne s'offre, par ici la monnaie. Quand cette pauvre femme va faire ses courses dans les commerces du voisinage, elle entend parfois murmurer avec mépris"Ce giton!" dès qu'elle tourne le dos mais ne sait toujours pas ce que recouvre ce terme. La boulangère ne s'empêche guère de persifler, pourtant: "Votre petit dernier m'a prétendu que c'est vous qui alliez régler sa note. Il serait temps de s'occuper de ça, madame Beaulieu." En disant "ça", elle esquisse un geste de la main, comme pour chasser loin d'elle ce qu'elle considère comme un mauvais sort : ardoise impayée, engeance dépravée, il n'y a pas de place dans son monde pour ces erreurs-là. Elle ne perçoit pas l'ironie de la situation : le jeudi après-midi, c'est toujours son Didier qui déboutonne son pantalon le premier ou laisse à Eugene le soin de s'occuper de la désape lorsque l'excitation est trop forte.

jeudi 28 juin 2012

F O S S E T T E S

Ce n'est pas un mugshot, c'est de l'inquiétude en format A4. La canalisation des peurs enfouies, la cohésion des tribus villageoises d'antan. Un visage qui s'affiche de façon tellement alarmante et multipliée que tu as l'impression de l'avoir croisé ici et là, toi aussi, que l'empathie globale finit par te gagner.
C'est le souvenir d'hier. Rien de vraiment très tangible, quand tu y repenses. Ce "Chevreuil, incroyable!" en écho, ce pull du grand-père oublié, cette façon perchée de profiter des choses jusqu'à un jour d'effacement.
C'est cette tenue jaune poussin et cette monture trop grande, et cette absence qu'on t'assène au retour de Barcelone. Plus de Ritournelle.
Un tunnel, des berges, trois fois déjà. Trois fois de trop.

mardi 26 juin 2012

P O I N T U

Elle a cette certitude d'avoir enfant, en rêve, parcouru les méandres d'un magasin de jouets, hagarde, avec aux trousses un homme muni d'une seringue inoculant le germe de la folie. Une injection : prémices. Deux injections : envahissement total du serum dans les allées réticulaires de sa carcasse, immersion dans un flou objectif.  Il n'a pas eu le temps de, il n'a eu le temps que...

Le rossignol ou l'alouette. Le coucou, définitivement le coucou.

T O U N D R A

Elle n'a jamais demandé à avoir des hanches, des quilles de part et d'autre qui alourdissent encore ses glissades, ses frôlements, sa façon pataude de mettre un pied devant l'autre. Si on avait sollicité son avis sur la localisation idéale de futurs appendices graisseux, elle aurait pointé un doigt vindicatif vers ce buste où s'étire du côté droit une cicatrice évidente, un creux, un manque à gagner. Elle n'en prend d'ordinaire pas ombrage, mais à choisir, ah, à choisir. Elections, renoncements, valse-hésitation avortée : plus de mari braconnier, plus de peaux de rennes à tanner les jours froids, pas non plus d'harponnage en plein coeur chaque fois que la tempête de neige fait rage et que les hommes risquent de manquer à l'appel. Le confort d'un foyer régulé au cordeau, plus aucune incertitude quand le ciel s'assombrira.

Mamelons en point de mire, loin de ceux d'une nourrice : il y a toute la tendresse accumulée chez cette femme-là qui refuse obstinément de poindre, qui fait défaut depuis quatre saisons ou cinq. Le dégel tardera encore à arriver.

Z O O

Sur les berges, une ellipse de deux secondes, une collision tacite en forme de veste. On déniche les oracles du soir accroupis derrière les barreaux, en vrac, leur générosité déployée, l'hirsutisme naïf prompt à ravir. Il n'y a aucun sésame qui absorberait tout entier la candeur et les tentatives spontanées d'un langage opportun de transfert.

Une Cène épicée à l'anguille, l'anchois, la poésie zutiste. Un flux cuivré continu en guise de préambule. Obsédante portion bourdonnée à demi-mot par un visage rond, des lèvres enfantines.
La femme guide des pouces et de la voix la trajectoire du basson, des pieds nus qui batifolent. Petits accrocs vibrants, maladresse touchante, communion intuitive. L'un est une succession de mécanismes, l'autre la balancelle qui accueille la mélancolie, le troisième cherche à induire sa marque débridée dans cet agencement fragile. Simplicité et ridicule assumé, beau-branque-fol est le rire japonais qui cascade.

Les regards peut-être. Avoir ancré son attention ici et là, avoir fermé certaines vannes ou pas.

Feindre encore d'être un animal social : connaître les codes, entériner les limites. Et se retrouver bien incapable pourtant de dessiner des renards et des caisses ou de laisser ailleurs qu'en laisse cet arpent de danger-là.

vendredi 22 juin 2012

P R A L I N E S

Sourires de loups, petits carnages intimes. Elle, même pas la trentaine, cheveux sagement noués. Lui, à peine plus et déjà gagné par la calvitie et la chemise à carreaux. C'est dans le trajet qu'ils font tous les jours depuis leurs boulots respectifs qu'elle le prend à parti : "Tu as pensé à apporter quelque chose pour ton pot de départ, mon amour?" "Non, pas encore, je comptais passer chez ce chocolatier, tu sais, celui qui a pignon sur rue et qui est tellement innovant..." Petite moue perceptible."Tu comptes faire une dépense aussi considérable pour tes collègues? Tu n'en fais jamais autant lorsqu'il s'agit de moi."

mardi 12 juin 2012

V O D K A

C'était un soir où conjurer tous les sorts, à commencer par celui du ciel effiloché. Les ellipses étaient cousues à même le col, le rouge aux lèvres ne coulait pas. Elle formait de ses dents enfantines des excuses comme de petits ronds de fumée, il imaginait des vases sacrificiels : la chair engloutie, le goût douteux aux pieds potelés. J'ai ri en silence, j'ai bu, j'ai attendu le moment d'évanouissement sans le voir apparaître. J'aurais pu griffonner sur leurs échanges complices à grands traits rouges, j'ai préféré ponctuer l'air de gouttelettes translucides, moins tranchantes.

mardi 5 juin 2012

S W E A T

Aujourd'hui, ça sera la première fois, la toute première. Truman sent l'excitation lui couler à grosses gouttes le long des omoplates. Il observe la faune autour de lui, mais ne palpe pas encore bien d'où vont jaillir les hostilités, d'où partira l'impact. On lui a pourtant vendu ce groupe américain comme une mèche vers la poudre, et il est là pour en tâter. S'il connaissait les morceaux, Truman pourrait prévoir que ces notes-là s'avèreraient incendiaires. Il y a d'abord cette fille à cheveux rouges qui, comme en transe, ne peut s'empêcher de gueuler "O Katrina". A côté, ses compagnons d'ivresse ont commencé à gentiment se taquiner des coudes, et Truman, le sourire extatique, cherche à tout prix à se rapprocher de ce noyau qu'il pressent propice à son initiation dans les règles. Des épaules, il esquisse un pardon contrit tandis qu'il me bouscule, droit vers sa cible. Au cœur de la mêlée fauve qui vrille à plein régime, c'est un oiseau consentant pour le chat: il n'aura de cesse de projeter sa carrure de moinillon tant qu'il n'aura pas reçu l'adoubement viril de ce garçon au visage poupin mais à la puissance bovine. Il est prêt pour ça à sacrifier ses lunettes et sa chemise neuve en percale bleue.

Le pogo est une science brouillonne mais quasi érotique : on y dépasse ses propres limites physiques dans un affolement indicible, on effleure au passage des zones interdites. Truman n'est pourtant pas dupe: jamais plus il ne sera aussi proche de Troy qu'à cet instant de collision fortuite, un soir moite de juin, à un concert des Black Lips.

lundi 28 mai 2012

R I B S

La première terrasse. Je jette un oeil à la table d'à côté, un groupe dont la présence à Bruxelles est semble-t-il due aux 20km, le matin même. Je ne peux m'empêcher de faire le compte : huit individus, dont une fille, et deux t-shirts. Ce qui nous laisse tout de même cinq polos. Cinq polos, un accent reconnaissable, un ratio immédiat: le taux d'auto-satisfaction risque d'être plus élevé que la moyenne, c'est statistique. Le taux d'auto-satisfaction risque même de faire des dégâts notoires si le polo est accompagné d'une Chouffe, ou de plusieurs et ça ne loupe pas. Arrivent du Senghor des musiciens étuis au dos, et ça dégoise déjà : "Truuuuubaduuuur, joue-nous ta musique!". Rituels de beuveries estudiantines, "il est des nôtres, il a mis son polo et bu sa Chouffe comme les autres, Barnabé, montre-nous tes fesses" "Vous allez tous commander des plats craaaaaazy, ou quoi?"

Mais on ne peut pas plaire à tout le monde, qu'on ait acheté ou non son polo à logo brodé dans un aéroport international pour tromper son ennui. Derrière, un homme à chemise blanche bien coupée s'interpose, la tension est palpable : "Je ne sais pas si vous venez de la campagne, mais vous dérangez tout le monde, à vous comporter comme des adolescents décérébrés. Nous voudrions passer une soirée tranquille." On se dit que si terrain agricole il y a du côté de Polo Jaune Rayé , Polo Bleu et ses amis, il y a fort à parier qu'il soit plus du côté de Genval que du Condroz, mais on ne peut qu'admirer l'audace de cet homme : tenter de lutter contre un tel habitus, ça relève de la vaillance, de l'inconscience ou du dépassement de limites.

Très vite, d'ailleurs, l'interpellation est mâchonnée et recrachée, Polo Bleu a trouvé une proie plus facile en forme d'un jeune serveur: "ANTOINE BOUDART! Je ne me trompe pas, c'est bien ça, ton nom, Antoine Boudart, hein dis? Viens un peu par ici". Petit clin d'oeil de circonstance au blondinet qui ne cille pas. "Dis-nous, jeune homme, quel est le plat le plus abject de ta carte? Polo Turquoise est parti aux toilettes et nous allons commander pour lui." "Vous savez, je suis en extra ce soir, je ne sais pas vraiment....". Se désempêtrer de cette glu, vite. "Oh mais tu sais, on n'a pas l'intention de te dénoncer au fisc, juste que tu nous dises quel est est le pire plat de ce rade!". Polo Jaune Rayé fait pourtant mine de sortir un téléphone : "Dis, Rémy, on a ici un jeune garçon du nom d'Antoine Boudart, il faudrait que tu t'occupes de son cas, il est en irrégularité...".

Le service peine à suivre, rien encore à se mettre sous la dent à la table d'à côté. Polo Rouge prétend aller voir directement en cuisine ce qui s'y trame, non seulement pour sa bande mais pour deux jeunes femmes et un bébé attablés devant des ribs malencontreusement non accompagnés de frites. Elles sont bonnes joueuses, et ne s'offusquent guère des prises à parti nombreuses venues du gang. Polo Bleu est  allé faire lui-même la plonge des verres à Chouffe, à ce qu'il prétend, le plateau plein à la main. Quelques blagues à base de portugais plus tard, les chansons et cet entrain de façade reprennent "Adrien Adrien Adrien ouh ah". Un vieux à la table d'à côté fait signe au serveur :"Ils vont réveiller tout le quartier, à beugler, comme ça, il faut les faire taire.".  Tentative malencontreuse, aussitôt fuse la remarque suivante :"Nous voulons bien comprendre que vous êtes totalement dans le jus et attendre, mais laissez-nous nos plaisirs bon enfant! Nous passons une bonne soirée entre amis."

L'addition est là. Avant de quitter l'arène, j'entends encore la question suivante, posée par un des T-shirts discrets à la compagne de Polo Rouge : "Il nous avait bien dit que tu étais timide, mais c'est ça, la raison de ton silence ou bien tu ne vois aucun intérêt à ce qu'on raconte?".

Au cours des échanges, il fut aussi question de Boris Becker, d'ambulances et de stock options. Peut-être pas dans cet ordre.

samedi 26 mai 2012

C O P Y

En entrant dans sa boutique de poche, presque un réduit, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'Aldo a les genoux massifs, pire encore : adipeux. Ses cuisses souffrent d'un manque d'esquisse, ses chevilles sont inexistantes, ses petits yeux enfoncés dans la plasticine de son visage. Chaque matin, il noue sa tignasse en catogan, machinalement : il n'a plus aucun miroir chez lui depuis quelques mois déjà, plus par superstition que par dégoût.

Dans les couloirs du métro ça fait longtemps que plus personne ne fait attention à sa dégaine, malgré son t-shirt bleu électrique barré d'un "S" dissimulé sous sa chemise en jeans taille XXL. Jaune et rouge, le "S". De quoi inspirer le respect, mais sa démarche de John Wayne empâté n'interloque plus : Aldo fait partie des meubles du centre commercial, au même titre que cette jeune fille fadasse qui presse environ 167 jus de fruits par jour, que cette mère de famille qui tente d'arrondir ses fins de mois en hélant le chaland en quête de réceptacles en plastique, plus encore que ce petit vieux planté sur le banc en face du marchand de journaux chaque jour ouvrable, sans que personne ne s'interroge sur la finalité de sa démarche.

Lorsqu'il s'installe derrière son comptoir, il ne peut s'empêcher de jeter un oeil à Cassius, dans son rectangle doré de la boutique d'encadrement d'en face. Cassius, le spitz nain de sa mémé qui ne jappe plus depuis trois mois déjà. Disparu en même temps que mémé Dolorès, broyés tous les deux par un camion-poubelle, avant même qu'il parvienne à courir pour les secourir. Et quand il pense à Cassius, et à sa mémé, Aldo ne peut s'empêcher de soupirer, et de faire voleter toutes les feuilles posées devant lui. Ce 23 mai encore, il aidera des familles à photocopier leurs cartons d'invitation, les syndicats leurs lettres de convocation. Mais un jour, il le sait, entre ses mains pataudes passeront des secrets d'états, des lettres anonymes, ou des recherches d'héritiers. Il sera enfin un rouage efficient dans l'ordre du monde, et adieu les remords, adieu les Mellow Cakes.

mercredi 23 mai 2012

Y O K O

Yoko a deux microscopiques grains de beauté sur la clavicule gauche. Je le sais, je les vois, moi, de là où je suis, juste en face d'elle. Elle a peut-être un début de territoire constellé ailleurs, mais je ne tenterai jamais de le tâter du doigt, ce sinueux jeu de piste pour tous ceux qui voudront prendre la juste mesure de sa peau, la réinventer pendant une demi-heure.  Trente minutes à chercher le nord, l'Orient ou le sens profond des choses, peut-être plus, si les candidats ne s'essoufflent pas au passage. La condition sine qua non  : la laisser goûter à l'estafilade, le sifflement à l'instant T, lui permettre de prendre ce risque létal à votre encontre. Yoko est une lanceuse de couteaux dont personne, à part la jugulaire d'un type dans une impasse, n'a eu à se plaindre jusque là.

mardi 22 mai 2012

S K Y E

Ce serait comme enfoncer les chevilles dans la fange, comme renoncer à toute pudeur. Elle ne voulait plus laisser entr'ouverte cette boîte de Pandore qui finissait par amenuiser ses aspérités, elle ne croyait d'ailleurs plus à aucune échelle de valeur. Elle continuerait, fil de plomb en tête, à se chercher un horizon, à ritualiser ses craintes, à brûler toutes ces secondes à force d'engloutir ce qu'on daignerait lui donner. Ca serait sa dot, son lot, pas vraiment un prix de consolation. Elle marcherait en silence, à son rythme.

samedi 19 mai 2012

J E A N N E

Je l'appelais mon Modigliani. La gueule de travers, comme marquée par les coups mais avec des traits d'une finesse inhabituelle, les cheveux filasses, elle errait entre les rayons sans que jamais son regard ne rencontre celui d'un autre client. Le plus souvent, elle se contentait d'extirper un livre de sa place, de le feuilleter sans vraiment prêter attention aux pages défilant sous ses yeux : c'est à se demander si elle savait lire, au fond. Cependant, sur un coup de tête, elle achetait parfois un exemplaire sur les renoncules, la cuisine aux algues ou le yoga pour enfants, sans pour autant que cela puisse indiquer quoique ce soit de fiable sur ses toquades, les gens qui peuplaient sa tête, ses heures ailleurs. Elle payait toujours en coupures de 5 euros, qu'elle sortait toutes chiffonnées de la poche d'un jeans blanchi qui, comme elle, avait dû connaître des jours meilleurs, et enfournait le livre dans un sac de toile de jute, sans aucune délicatesse, sans prononcer un mot.

Un matin, je l'ai retrouvée couchée en chien-de-fusil devant le seuil.  Je n'ai pas su quoi lui dire, j'ai juste touché la manche de son trench rapiécé, lui ai proposé de boire quelque chose de chaud avant que la routine s'entame. Elle n'a rien ajouté, mais m'a suivi à l'intérieur. Il lui a fallu une minute ou deux, pas plus, pour boire à gorgées saccadées ce café soluble que personne ne trouvait vraiment bon. Elle s'est levée, pas de merci, pas d'échange, et a disparu par la porte à double vantail. Je n'ai plus jamais croisé mon Modigliani. J'avais ce matin-là entraperçu d'elle autre chose que le tableau qu'elle voulait que l'on garde.

dimanche 13 mai 2012

G O S P E L

Les ongles rompus de m'être enserré la gorge remplie d'Harry Crews, j'ai cru que je n'émergerais pas indemne de cette moiteur marécageuse. Les pages venaient d'ouvrir une béance d'une noirceur étincelante impossible à combler en quelques heures. Ramasser ses abattis, retrouver un certain souffle, une échappée.

Les faits se sont enchaînés plus vite que je ne l'aurais cru, rien de prémédité, pourtant. Bien en creux dans ma tête, j'ai troqué le prodige d'Enigma contre le fils de l'homme à la voix qui vacille.

Ce fut "Spiritual". Il n'y eut pas d'apparition divine. Ce n'est pourtant pas un péché de croire qu'il s'est passé quelque chose de miraculeux à cet instant-là, et que ça ne sera pas reproductible.

samedi 12 mai 2012

P A P R I K A

Tu comprends, ce n'est pas vraiment de la nourriture, pas vraiment des calories, et dans quelques minutes, tout ça finira en giclée orange dans la cuvette. C'est compulsif, elle engloutit le monde en tranches fines, elle poisse ses doigts délicats de cette couche graisseuse avant chaque interaction sociale d'importance. Elle a les lèvres maculées et coupables, la langue chargée, anesthésiée mais c'est son unique façon d'affronter la conversation de ces fréquentations qui placent toujours la barre trop haut pour elle. On l'a traînée de force à ce concert d'un chanteur vaguement breton mais qui ne joue même pas de cornemuse et qui paraît-il, a conquis les élites culturelles les plus blasées il y a vingt ans déjà, avec, tenez-vous bien, un morceau à base de piafs. Les mots qu'il assène, elle n'y entend rien, elle préférerait regarder une comédie avec Helen Hunt. Plutôt que cet aveu impossible, elle préfère piocher une dernière fois dans le paquet, tout au fond, pour tenter d'enfourner les dernières miettes de chips.

mardi 8 mai 2012

W I L D

Le repas qui refroidit, la sauce qui se fige, le sourire crispé de la mère quand il pousse ce cri primal, toutes dents dehors : "NOOOON". Quelle idée d'avoir enfanté un singe-garçon, un enfant-jungle avec des poux et de vilaines manières. Dans la forêt qui s'entrouvre sous ses pas, il ne trouvera pas de pavés d'or mais des cailloux et de la terre ocre qui ferait de l'excellente peinture à doigts pour peu qu'on y jette un seau d'eau sale. Au bout du chemin, un jonque taillée à même le tronc sur un fleuvillon, et vogue le sauvageon vers une terre promise aux yeux jaunes. Ce soir le festin aura les fesses dodues du Roi des Monstres, à moins que...

M I S F I T

Today you can borrow, but tomorrow you gotta pay. Il oscille dangereusement, grands jetés de corps par-dessus une rambarde dont il est seul à distinguer la ligne, ses tracés sont invisibles à l'oeil nu tandis qu'il s'immisce entre les spectateurs clairsemés sur le parquet de ce soir-là. Rire de gorge et anguleuses manières qui ne plaisent à aucun quidam, le groupe a les yeux rivés sur lui tandis qu'il se confronte à renforts de geyser houblonneux à deux jeunes filles à la colle dont le seul tort aura été de dégainer une tablette pour immortaliser l'instant. Il faudrait un vortex de caniveau pour en venir à bout. Dès que les notes prennent fin, pourtant, il retrouve figure décente, comme si rien d'abrasif n'était advenu.

dimanche 6 mai 2012

M A N U R E V A

Je ne veux pas déchirer ta page de charmant petit monstre, pas arpenter les Jardins du Luxembourg avec l'amer en gorge, je ne veux pas saccager ton chic à la française à coups de ciseaux émoussés. Mais si ta vision du paradis consiste désormais à couler des jours heureux à Santiago de Cuba, Alain, si tu t'obstines à t'aventurer sur le terrain des duos de Marc, si tu veux adopter la position de la Femme-Araignée avec des paires de jambes gainées de rose à la dérive, ne compte pas sur moi pour sourire : l'heure est grave, je ne mangerai plus jamais de crackers.

G L A I S E

J'ai les doigts gourds, gourds d'avoir enfoui jusqu'aux poignets mes mains dans l'humus sans autre bonne raison qu'y trouver la réponse peut-être enfouie très bas. J'ai les lunules sales, sales d'avoir gratté en dedans, d'avoir cherché à cerner ce que recèle à dessein la fécondité du sol, cette nature secrète de la germination. J'ai épuisé la glaise, caressé les os blanchis de l'étourneau qu'on avait déposé là au printemps dernier, je n'ai pas trouvé d'autre trace.

samedi 5 mai 2012

A P P E A U

On aurait fort à faire de vouloir tout dire au sujet de cet homme, cette peau tavelée et ces orbites saillantes, offertes en pâture à la première passante, cette brousse auburn, ces mains aux jonctions noueuses et trop fines pour sa constitution. Ce serait encore peu de décrire sa façon d'être au monde, assis ou plutôt recroquevillé, rarement déployé malgré une certaine envergure, jamais un mot qui dépasse : on ignore tout de ses mystères gutturaux. Il n'est pas exactement débraillé, mais sa chemise recèle des constellations de tachettes brunâtres (café, brou de noix, gravy?) regroupées au niveau du col et des poignets. Niché au creux de sa main gauche, un de ces oiseaux de glaise qui produisent des pépiements plus ou moins fidèles, pour peu que la nature vous ait doté de la capacité à siffler. On ne le sait pourtant pas colombophile. On ne le sait pas non plus cycliste, luthier ou prince consort, accordéoniste. On le sait juste propre au regard.

jeudi 3 mai 2012

I N S E C T E

Elle dit "mixte" pour "mythe" sans sourciller. Dans sa gorge résident en nombre sauterelles, cloportes, petites flammèches roussies. Elle ne strie pas des dents, elle stride: chaque bouffée d'air est abrasive, chaque bonjour grinçant, toute tentative de cordialité aussitôt dissonante. L'ardoise et la craie sont ses seules alliées vers la sincérité. Mais lorsque de la main gauche, elle s'applique à réclamer en rondes et déliés "une baguette, SVP", on constate aussitôt que son éducation au Pensionnat des Vertus a été vaine. On ne peut pas lutter contre les ratures.

dimanche 29 avril 2012

J A C N O

Machinalement, tu fais les quelques pas qui séparent les portes du métro des portes du plus beau métier du monde, entre les enseignes globales. Dans l'indifférence générale, résonne une reprise féminine de "Take on Me" pseudo-folk-ukulélé suivie aussitôt d'une reprise du même accabit de "Man Eater" et tu peines à reconnaître de qui il s'agit, au fond.

Le coeur de la journée suinte des mots d'Yves Simon, ce matin il occupait les ondes radiophoniques généralistes de sa voix qui a connu la grâce, il y a un certain temps déjà.

Tu articules "bleu de méthylène" en espérant qu'on dévie sur Bashung, mais à quoi bon? On finit par s'enquérir de ce que peut bien devenir William Sheller, et chacun est surpris d'avoir sauté quelques étapes.

Et puis, il apparaît dans la conversation, et tu te dis que c'est une bonne, une très bonne chose de finir la journée sur cette note-là.

B I N G O

On a tous en nous quelque chose de Sara Goldfarb : dans le tram, la mère de famille rongée par le vice du bingo, avec des larmes grosses comme ça, même plus en mesure d'aller suer en cadence sur "Maniac", "Poker Face" ou "In the Navy". Evacuer par tous les pores le mutisme de son mari, l'angoisse qui la tenaille, les dettes qui s'accumulent, elle le fera un autre jour, ou bien elle partira en vrille.

E M I L E

Il traîne toujours ses guêtres au même endroit, Emile. Un périmètre savamment établi entre le paquebot Flagey et le Pantin, le long de la ligne des trams. C'est que l'affaire est sérieuse, une obsession le tenaille. De ses pupilles plus encore que de ses lèvres jaillissent une supplique avide: "Vous n'auriez pas une cigarette pour moi?". Il est comme le pénitent qui attend la dernière, tout entier tendu vers ce but, du haut de son mètre nonante. A force, on finirait pas le prendre pour un écho, un fantôme errant de plus. Sauf elle, avec son casque vissé sur les oreilles et son sourire candide. Elle prend le temps de s'assoir, de lui demander comment il va, de s'excuser de ne pas avoir de quoi le satisfaire. C'est l'instant où il reprend corps, où à nouveau l'humanité refait surface dans ses yeux. Mais déjà, arrive le 81, la silhouette juvénile fait un petit signe de la main en disparaissant. Et la litanie reprend : "Vous n'auriez pas une cigarette pour moi?"

C O N C L U R E

Presque-Denis Lavant n'a pas toujours la grâce, il ne marche pas sur les filins ténus, il ne s'aventure jamais en sables mouvants. Il connait par cœur tous les mots de tous les morceaux de tous les albums jamais écoutés, ça lui permet de baliser le terrain. Il pratique la citation avec une méticulosité de bâtisseur de cités en bois d'allumettes. Le rituel du matin devant la glace consiste à répéter d'une voix neutre "I know it's hard to keep an open heart / When even friends seem out to harm you". Chacun ses mantras.

Tricotée la carapace de protection, journée sans surprise en perspective. Presque-Denis Lavant est conscient que ce manque notoire de fantaisie ne lui permettra jamais de conclure avec Priscilla, la secrétaire du cinquième, ni de conclure avec quiconque, d'ailleurs. Peut-être qu'un jour, Presque Denis-Lavant testera le pouvoir magique de "Come shine my boots and maybe I'll shine yours". Tu parles d'une révolution.

I ♥ YOU MUM

Une femme de 50 ans environ, à son amie, après un coup de fil houleux avec sa mère : "Et après ça, c'est moi la manipulatrice? Je ne fais que me prémunir contre ses attaques perfides répétées. Hier, elle a laissé un mot sur les toilettes destiné à mes enfants " ouf, on respire enfin!"

W O N D E R L A N D

Une fille à une autre: "Tu vois, la relation entre le Chapelier fou, Johnny Depp, et Alice, je trouve ça bizarre. Limite érotique."

F I S H

Dans le train, des jeunes "t'imagines, être tout défoncés et avoir Nagui en face de nos gueules, trop le kif! Tiens, t'as déjà essayé de faire revivre un poisson rouge avec une aspirine?"

H A M M A M

Les anti-prophètes qui parlent à leur chien :"Jésus de mes couilles, le seul prophète, c'est moi, mes chiens et mon hammam et je vous emmerde".

H U G U E T T E

Un soupçon de moustache, Huguette. Un béret mauve et des lunettes over-size estampillées 1974 qui lui donnent l'air mi-sévère mi-curieux d'un hibou. Galerie Ravenstein, dans cette enseigne saine de fast-food, elle hésite longuement entre un yaourt et une viennoiserie et finit toujours par opter pour les deux : elle est bien incapable de faire le partage égal entre gourmandise et diététique.Aujourd'hui, elle a le sourire tenace,  Huguette. Surtout depuis qu'elle a fait une affaire sensas" chez un bouquiniste de la Galerie Bortier. Elle feuillète frénétiquement un petit livre carré aux pages défraîchies qui porte un titre évocateur et un numéro de winner. Marabout Flash N°77, "Je suis physionomiste". Cette fois, c'est sûr, si la Princesse Diana venait un jour dans son petit recoin de Saint-Josse, malgré tout ce qu'on prétend de morbide à son sujet, elle la reconnaîtrait au premier coup d'oeil.  Jacques Brel,  Baudouin, Elvis, elle se persuade que c'est à nouveau possible, maintenant qu'elle dénichera sous les perruques les signes certains de leur vraie identité.La flasque sort toute seule ou presque d'un sac sans âge, juste le temps de s'assurer que personne ne prendra ombrage du plaisir coupable d'une vieille dame. Toute satisfaction mérite bien une petite célébration, et celle d'Huguette coule à grosses lampées au fond de sa gorge, en petites circonvolutions ambrées. Glenmorangie, douze ans d'âge.

T I M

C'est le seul endroit  à la ronde où l'on peut entendre des chansons sur les bébés congelés. « Le groupe vient de Metz » raille le vendeur quand je fais mine de m'offusquer, « ça explique pas mal de choses. Mais c'est vrai que c'est pas follement réjouissant pour un samedi après-midi, en plus,  t'as vu, ya du soleil.  Je vais changer de disque». C'est l'un des deux tenanciers de cet antre microscopique, où s'entassent références obscures, fanzines fluo démoniaques et perles insoupçonnables à sillons. A première vue, Tim,  tu jurerais qu'il est le résultat d'une hybridation étonnante entre Pluto et une petite fille perverse de Yoshitomo Nara, le flegme indéniable couplé à un visage oblong au front proéminent encadré de cheveux blonds filasses. Du fond de son impasse, il fait à son contact téléphonique la confession suivante, non sans lui avoir souhaité au préalable une bonne année «  Oh tu sais, moi je mène une vie vraiment dissolue, mais je pense qu'elle me convient bien comme ça ». Le morceau suivant est tout droit issu d'une production du label « Et mon cul, c'est du tofu ? » et ça en dit déjà bien assez long sur son contenu. Je salue Tim du bout des doigts, un précieux paquet sous le bras. Dedans, de vrais lambeaux de chanteuse folk grecque et quelques autres divagations des racines.

D I O G E N E

« Une question ? Pas de question ? Tout le monde ferme sa gueule, alors, c'est ça ? ». Sous sa moustache digne de figurer parmi les plus beaux spécimens du concours international de Portland, Oregon, Diogène l'a mauvaise. L'homme a de quoi bousculer le chaland, pourtant : 1m85 au garrot, une barbe fleurie façon père de famille mormon, et entre deux paluches d'étrangleur professionnel un magnum de champagne bon marché déjà solidement entamé qui pourraient faire de lui un sujet fascinant de sidération, à défaut d'empathie pour ses saillies cyniques éructées à hauteur de trottoir. Les Parisiens en ont vu d'autres : juste une distraction visuelle de plus entre eux et le prochain commerce, ou la bouche de métro attenante,  alors autant prêcher dans le désert de Gobi. Ils ignoreront donc jusqu'à trépas que sous ses dehors hostiles, l'homme-à-la-tête-pensante est à même de produire des reprises de Blind Willie Johnson plus déchirantes que l'oubli. Dark was the night...

S O U P E S

Presque-Rupert Everett a l'oeil gauche endommagé depuis toujours, refusant d'affronter la vérité en face. C'est qu'il aurait voulu être stewart,  vous comprenez, le prestige de l'uniforme couplé à ses séduisantes tempes poivre et sel, l'impression d'être quelqu'un de bien. Sa notoriété a pourtant dépassé les limites du quartier branchouille où il officie. En moyenne 85 copieuses soupes journalières servies avec un distingo notoire entre 12H et 14H, courbette de circonstance quand il dit « lentilles-bacon » comme on murmurerait « truffe blanche en lamelles». « Bloody Mary »  sorti de ses lèvres sonnerait presque comme un message divin, « Crème de carotte » comme une promesse de 5 à 7. Gavés de ces intitulés piquants, se bousculent dans sa cantine de poche les cadres sous coke et les fashionistas à petits noeuds, et aucun d'eux ne vous avouera les yeux dans les yeux que pareilles syllabes prononcées à la table familiale circa 1976 auraient sonné comme une sentence létale. Autre temps, autres moeurs,  sous son tablier blanc immaculé, Presque-Rupert Everett est un distilleur de mots qui tiennent plus encore au corps que les breuvages qu'ils désignent.

C H A R L I E

Mercredi, je n'attendais rien, je ne cherchais ni la petite bête ni à connaître l'heure, et c'est là que j'ai retrouvé Charlie. Cela fait un certain temps qu'il ne se fait plus appeler Waldo, il tente sans conviction de passer incognito. Il arpente à grandes enjambées et trench moutarde les allées du centre commercial. C'est sa démarche emblématique de grand dadais, il ne peut longtemps faire illusion, malgré un dos qui a pris de l'ampleur. Juchés sur son bonnet à pompon qui ne trompe pas plus, des écouteurs qui diffusent en boucle un programme de développement personnel. C'est qu'à force d'être perdu par tous et retrouvé par chacun, Charlie en a fini par oublier qui il est, au fond.

D I A B O L O

Il avait affiné sa technique, révisé ses pas. Le déhanchement du côté droit était un appel à la sueur, à l'évanouissement, à la perte de contrôle. Celui du côté gauche s'apparentait juste à un teaser pour la fille longiligne au bar juchée sur ses rollers. Diabolo-fraise à la paille, d'après ce qu'il pouvait en juger. Il faudrait jouer serré, cesser de se demander dans combien de mois exactement elle serait en âge d'avoir un permis de conduire. Et s'assurer de ne pas déchirer ce pantalon de satin rose, malgré tout. Let's all chant.

S O P H I S T E

De l'amour et de la philosophie : Deux jeunes femmes françaises, entre Montgomery et la Chasse : "En fait, tu vois, dans ta relation à lui, tu es comme Socrate face aux types de la City, là, tu sais, comment ils s'appellent, déjà? Ah oui, les sophistes. Tu prends toujours le contrepied des choses, et lui ne se sent pas encore assez assuré dans vos différences pour assumer." "Oui, c'est grave ça."

La seconde tient fermement contre sa poitrine un exemplaire de "Le potentiel érotique de ma femme" de David Foenkinos.

G O L D F I N G E R

Dans un fast-food sain du centre-ville, un homme au langage emprunté et son jeune employé en pull Riverwoods. Le premier au deuxième : "Si tu as un creux, mange un petit bout, parce que ce soir, je compte t'emmener quelque part. Je ne te dirai pas où mais tu te doutes, non, tu te doutes?". La musique change. "OOOooh Goooooooldfinger, Shiiiirley Bassey. James Bond, c'est quand même un personnage mythique, le monde entier le connait. Il est plein de mystère, il a toujours les mêmes cheveux. On aime le voir se faire torturer, même. C'est bizarre. Il se réinvente sans cesse, parfois il est drôle, parfois plus sérieux parfois même il est blond. C'est curieux, il est très convaincant en blond."

H O N E Y

A la caisse, deux nonnes en bleu pastel d'un autre âge devant toi et tu ne détailles pas ce qu'elles prennent, dans ce grand cabas en jute. Derrière, par contre, une jeune japonaise blafarde à rideau de cheveux ébène, casque jaune en matière duveteuse et pompons achète juste six pots de miel à dosage facile. Tu ne veux pas savoir pourquoi, surtout pas.

B R E F

Cet épisode de Bref, je l'ai à présent vu π fois, soit 0.141592654 fois de trop au moins.

Je préfère me dire que la Volkswagen jaune de 1973 près du square Léopold est habitée par un superhéros à la retraite, que cet homme qui à Montgomery gueulait "Je ne te dois plus que 162 euros, et après, c'est fini, parce que je me suis fait menacer par Moïse" croit en la fureur divine, et que demain, il fera beau.

A M B I T I O U S

Dans une file, une jeune fille à un jeune homme :"Je ne peux pas travailler chez McDo, les gens se demanderaient pourquoi. Arrête de vouloir les mêmes jobs que moi. Je voulais Marc Jacobs, tu voulais Marc Jacob. Maintenant Exki..."

D I A M O N D

(False) diamonds are a girl's best friend. Sur la ligne 4, une jeune fille observant les mains d'une autre, couvertes de bagues : "Mais celle-là, tu me la prêterais? C'est un Swarovski?" "Oui, mais non, c'est un cadeau de l'Autre, là..." "Et tu la portes toujours?" "Ben c'est pas parce qu'on n'est plus ensemble que je ne vais plus la mettre, hein. Après tout, c'est moi qui l'ai choisie."

C O R A I L

Dans le 81, 19h34, un specimen féminin châtain, ongles corail paillettes à une jeune brune, ongles bleus fleurettes :" C'est rare, aujourd'hui on n'a pas encore bu d'alcool." "La journée n'est pas encore finie."

W I S H E S

In the tube, nobody can hear you scream : Dans sa robe parme et chaussures assorties, boucles d'oreilles démesurées, elle a un tempérament de vieille fille à joues grasses, et pourtant elle a réussi à le harponner, lui dont la calvitie prend des détours particuliers. Ils vont à une fête, ou deux dans la foulée, et elle rédige d'une écriture plus ou moins excentrique deux mots de circonstance sur des cartes garnies d'un cupcake. Sur la seconde, elle se permet une fantaisie rare : elle griffonne un ballon dont elle prend soin d'ajouter le reflet. Il n'a pas droit au chapitre. Son rôle à lui consiste juste à lécher les enveloppes pour les sceller, et elle le regarde d'un air dégoûté, peu encline à au moins lui accorder cette satisfaction : être le meilleur dans cette tâche simple mais ingrate qu'elle lui jette à la tête comme on nourrirait un chien pris en pitié.

M A S Q U E

Tu aurais un masque de héron, on dissimulerait les plis, remplirait les fosses, on ne se contenterait pas du tout venant. J'aurais la petite lame des jours meilleurs, celle qui tranche dans mes certitudes et au-delà. Ca serait la sarabande de la toute dernière fois.

K H M E R

Bigre de bigre, m'amuser à jouer les chats ou les tigres.

Sur le chemin du Caire, le Samuel L. Jackson khmer du bus a le regard fou. Je lui assène 'Libra Man' comme on décocherait la clé secrète du Cac40, il ne rétorque rien, il ne dit jamais plus d'un mot par jour. Celui de ce mercredi 18 avril est tombé à 8h47 53 secondes, c'était 'banderole'.

V I E I L L E

Teignasse, tu la bouscules cette masse d'inertie en forme de très vieille dame, elle ne proteste même plus, elle n'en a pas la force, toute agrippée à son déambulateur, ce rempart si fragile. Supplique muette des yeux et de la commissure des lèvres, râle saccadé des narines, tressautement des épaules, mais ça ne t'émeut pas. Ca sera sa grande aventure de la journée, bien plus que le chat qui aurait encore perdu ventre et eau à côté de sa litière, plus que le facteur qui ne prend même plus la peine de venir boire son eau-de-vie, plus que le coup de fil de Gontrand : "Alors mamy, toujours en vie?". Elle pensera que le monde est mauvais, décidément, mais qu'elle compte bien y jeter encore un peu d'huile rance.

Y O L A N D E

Yolande, juste devant le rayon "riz en sachets", elle vous prend par surprise, elle jaillit, elle ne vous laisse aucune solution de retrait. Vous hoquetez quand elle dit : "Mademoiselle, il est écrit quoi là, sur le produit de vaisselle?". Vous commencez à détailler la composition, l'articulation est pâteuse, mais je voudrais vous y voir vous, entre alkylpolyglycoside et benzisothiazolinone, avec en face Yolande et ses deux pieds qui frôlent l'elephantiasis bien campés comme deux remparts sous sa blouse grise. "Oui, mais c'est au citron? Parce que celui de d'habitude au citron, yen a plus en rayon, je sais rien lire, là.". C'est presque un soupir de soulagement : "Agrumes, oui, oui, c'est bien ce que vous cherchez, Madame.". Vous vous échappez côté surgelés, et quand arrive votre tour, vous voyez la caissière ânnoner "Alkylpolyglycoside." "Oui, mais c'est au citron?".

M I R E L L A

Mirella, moue butée et salopette, piaille un définitif :"Il la mérite, sa place à part". En face d'elle, sceptique, l'employé du chemin de fer dévisage cette fille-brindille aux cheveux tressés lâchement qui n'en démordra pas avant qu'il obtempère."Je n'ai jamais eu l'heur de connaître ce type de situation délicate. Repassez lundi, mon supérieur tranchera." Il a beau feindre la diplomatie de façade, ses bornes s'effritent, et ce qui se joue à cet instant s'apparente moins à un deal à la régulière qu'à une tentative de Sergio Leone de faire dans le drame urbain. Autant botter en touche, confier la bombe à un tiers. Elle tourne déjà les talons, l'objet du contentieux sous le bras. Malgré le bruit de fond de la salle des pas perdus, Gilbert entend clairement ses derniers mots, ils ne lui sont pourtant pas adressés :" Viens Marlon, c'est toujours pareil, ils ne peuvent pas comprendre." Entre vous et moi : Mirella aura trente ans dans deux jours, mais les tigres en peluche ne répondent jamais.