vendredi 9 mai 2014

W A R R E N

Sur le ponton où grouillent les rongeurs, son pas n'est pas pesant, il frôle à peine les planches attaquées par la vermine. Arrivé au bout de la jetée, il dépose son étui et en sort un violon dont il se plaît à taquiner les cordes, très délicatement d'abord, bientôt de façon incendiaire. A mesure que s'étirent les notes, que le ciel devient rouge, les rats s'entassent autour des jambes de cet homme. A ce moment-là seulement, il s'autorise à rire dans sa barbe de forêt, dans son nid à coucous.

M O N S T E R

Sa chienne gît là, ventre à l'air, à ses aises sur trois places de banquette, et toute sa vie tient dans un sac Lidl. Il sirote un énergisant grand format comme on sabrerait une Veuve Clicquot, tout en feuilletant machinalement "Au secours, pardon", bas-ventre rouge, culotte blanche. A ce moment du récit, je préciserais bien qu'il a les yeux bleus, mais tu ne les vois pas derrière ce bonnet informe, alors, à quoi bon? En face de lui, deux soeurs à chips qui fritchent-froutchent sous leur pieds et mélasse capillaire, qu'il apostrophe de ce "tu" que s'accordent les gens qui n'ont plus grand chose à perdre, pas plus à gagner: "C'est bien meilleur que du Redbull, il y a du ginseng dedans. Tu devrais goûter. " "Mais dans le Redbull, il y a des médicaments, j'en veux pas, et toi, tu devrais faire attention." "Tu ne sais pas ce que tu perds. Et le mari, il n'est pas avec toi?". L'autre soeur, le rempart, tente de couper net l'amorce : "Ya plus de mari. C'est fini. Parti avec toutes les économies de la famille, il n'existe plus." Elle crache à même le sol de la rame.