jeudi 28 juin 2012

F O S S E T T E S

Ce n'est pas un mugshot, c'est de l'inquiétude en format A4. La canalisation des peurs enfouies, la cohésion des tribus villageoises d'antan. Un visage qui s'affiche de façon tellement alarmante et multipliée que tu as l'impression de l'avoir croisé ici et là, toi aussi, que l'empathie globale finit par te gagner.
C'est le souvenir d'hier. Rien de vraiment très tangible, quand tu y repenses. Ce "Chevreuil, incroyable!" en écho, ce pull du grand-père oublié, cette façon perchée de profiter des choses jusqu'à un jour d'effacement.
C'est cette tenue jaune poussin et cette monture trop grande, et cette absence qu'on t'assène au retour de Barcelone. Plus de Ritournelle.
Un tunnel, des berges, trois fois déjà. Trois fois de trop.

mardi 26 juin 2012

P O I N T U

Elle a cette certitude d'avoir enfant, en rêve, parcouru les méandres d'un magasin de jouets, hagarde, avec aux trousses un homme muni d'une seringue inoculant le germe de la folie. Une injection : prémices. Deux injections : envahissement total du serum dans les allées réticulaires de sa carcasse, immersion dans un flou objectif.  Il n'a pas eu le temps de, il n'a eu le temps que...

Le rossignol ou l'alouette. Le coucou, définitivement le coucou.

T O U N D R A

Elle n'a jamais demandé à avoir des hanches, des quilles de part et d'autre qui alourdissent encore ses glissades, ses frôlements, sa façon pataude de mettre un pied devant l'autre. Si on avait sollicité son avis sur la localisation idéale de futurs appendices graisseux, elle aurait pointé un doigt vindicatif vers ce buste où s'étire du côté droit une cicatrice évidente, un creux, un manque à gagner. Elle n'en prend d'ordinaire pas ombrage, mais à choisir, ah, à choisir. Elections, renoncements, valse-hésitation avortée : plus de mari braconnier, plus de peaux de rennes à tanner les jours froids, pas non plus d'harponnage en plein coeur chaque fois que la tempête de neige fait rage et que les hommes risquent de manquer à l'appel. Le confort d'un foyer régulé au cordeau, plus aucune incertitude quand le ciel s'assombrira.

Mamelons en point de mire, loin de ceux d'une nourrice : il y a toute la tendresse accumulée chez cette femme-là qui refuse obstinément de poindre, qui fait défaut depuis quatre saisons ou cinq. Le dégel tardera encore à arriver.

Z O O

Sur les berges, une ellipse de deux secondes, une collision tacite en forme de veste. On déniche les oracles du soir accroupis derrière les barreaux, en vrac, leur générosité déployée, l'hirsutisme naïf prompt à ravir. Il n'y a aucun sésame qui absorberait tout entier la candeur et les tentatives spontanées d'un langage opportun de transfert.

Une Cène épicée à l'anguille, l'anchois, la poésie zutiste. Un flux cuivré continu en guise de préambule. Obsédante portion bourdonnée à demi-mot par un visage rond, des lèvres enfantines.
La femme guide des pouces et de la voix la trajectoire du basson, des pieds nus qui batifolent. Petits accrocs vibrants, maladresse touchante, communion intuitive. L'un est une succession de mécanismes, l'autre la balancelle qui accueille la mélancolie, le troisième cherche à induire sa marque débridée dans cet agencement fragile. Simplicité et ridicule assumé, beau-branque-fol est le rire japonais qui cascade.

Les regards peut-être. Avoir ancré son attention ici et là, avoir fermé certaines vannes ou pas.

Feindre encore d'être un animal social : connaître les codes, entériner les limites. Et se retrouver bien incapable pourtant de dessiner des renards et des caisses ou de laisser ailleurs qu'en laisse cet arpent de danger-là.

vendredi 22 juin 2012

P R A L I N E S

Sourires de loups, petits carnages intimes. Elle, même pas la trentaine, cheveux sagement noués. Lui, à peine plus et déjà gagné par la calvitie et la chemise à carreaux. C'est dans le trajet qu'ils font tous les jours depuis leurs boulots respectifs qu'elle le prend à parti : "Tu as pensé à apporter quelque chose pour ton pot de départ, mon amour?" "Non, pas encore, je comptais passer chez ce chocolatier, tu sais, celui qui a pignon sur rue et qui est tellement innovant..." Petite moue perceptible."Tu comptes faire une dépense aussi considérable pour tes collègues? Tu n'en fais jamais autant lorsqu'il s'agit de moi."

mardi 12 juin 2012

V O D K A

C'était un soir où conjurer tous les sorts, à commencer par celui du ciel effiloché. Les ellipses étaient cousues à même le col, le rouge aux lèvres ne coulait pas. Elle formait de ses dents enfantines des excuses comme de petits ronds de fumée, il imaginait des vases sacrificiels : la chair engloutie, le goût douteux aux pieds potelés. J'ai ri en silence, j'ai bu, j'ai attendu le moment d'évanouissement sans le voir apparaître. J'aurais pu griffonner sur leurs échanges complices à grands traits rouges, j'ai préféré ponctuer l'air de gouttelettes translucides, moins tranchantes.

mardi 5 juin 2012

S W E A T

Aujourd'hui, ça sera la première fois, la toute première. Truman sent l'excitation lui couler à grosses gouttes le long des omoplates. Il observe la faune autour de lui, mais ne palpe pas encore bien d'où vont jaillir les hostilités, d'où partira l'impact. On lui a pourtant vendu ce groupe américain comme une mèche vers la poudre, et il est là pour en tâter. S'il connaissait les morceaux, Truman pourrait prévoir que ces notes-là s'avèreraient incendiaires. Il y a d'abord cette fille à cheveux rouges qui, comme en transe, ne peut s'empêcher de gueuler "O Katrina". A côté, ses compagnons d'ivresse ont commencé à gentiment se taquiner des coudes, et Truman, le sourire extatique, cherche à tout prix à se rapprocher de ce noyau qu'il pressent propice à son initiation dans les règles. Des épaules, il esquisse un pardon contrit tandis qu'il me bouscule, droit vers sa cible. Au cœur de la mêlée fauve qui vrille à plein régime, c'est un oiseau consentant pour le chat: il n'aura de cesse de projeter sa carrure de moinillon tant qu'il n'aura pas reçu l'adoubement viril de ce garçon au visage poupin mais à la puissance bovine. Il est prêt pour ça à sacrifier ses lunettes et sa chemise neuve en percale bleue.

Le pogo est une science brouillonne mais quasi érotique : on y dépasse ses propres limites physiques dans un affolement indicible, on effleure au passage des zones interdites. Truman n'est pourtant pas dupe: jamais plus il ne sera aussi proche de Troy qu'à cet instant de collision fortuite, un soir moite de juin, à un concert des Black Lips.